Un coup d’arrêt brutal et incompréhensible
En avril 2025, les structures Envie de Rennes, Angers, Nantes, Niort et Mulhouse, toutes engagées depuis plus de 20 ans dans la collecte, la logistique et le réemploi/reconditionnement des équipements électriques et électroniques usagés, ont appris leur exclusion de l’appel d’offres logistique « DEEE » lancé par l’éco-organisme Ecosystem.
Cette décision unilatérale provoque l’arrêt immédiat d’une activité essentielle au fonctionnement des ateliers de réemploi/reconditionnement, et met en péril un modèle local d’économie circulaire ancré dans les territoires.
1 000 emplois menacés, des filières locales fragilisées
Les conséquences sont lourdes : plus de 1 000 emplois sont aujourd’hui menacés, dont une majorité de salariés en parcours d’insertion. Ces structures, qui faisaient figure de pionnières du réemploi, perdent aujourd’hui l’accès à une partie essentielle des équipements collectés, indispensables à leur activité de reconditionnement.
Or, dans des territoires comme la Bretagne, les Pays de la Loire ou le Poitou-Charentes, ces entreprises représentent une part largement majoritaire du reconditionnement local des équipements électroménagers. Elles assurent aussi des parcours d’accompagnement socioprofessionnel qui sont des tremplins vers l’emploi, dans des secteurs où les tensions de recrutement sont fortes.
Une logique de course au prix contraire à l’intérêt général
Ce choix interroge : les structures écartées remplissaient toutes leurs engagements dans le cadre du précédent marché. Elles proposaient des solutions locales, maîtrisées, et conformes aux ambitions de la loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (loi AGEC). En privilégiant des prestataires à moindre coût, Ecosystem fait le choix d’une logique purement économique, au détriment des impacts sociaux et environnementaux du dispositif.
Pire encore : aucun critère obligatoire de préparation au réemploi/reconditionnement n’a été exigé dans l’appel d’offres, pourtant financé par une écocontribution versée par les consommateurs dans une optique d’intérêt général.
Une tentative de médiation, restée sans effet
Le 2 mai dernier, une réunion convoquée par le ministère de la Transition écologique n’a pas permis de faire évoluer la situation, malgré plusieurs propositions formulées par Envie : 18 mois d’allongement de contrat et un travail spécifique pour sauver les activités de réemploi/reconditionnement.
Ecosystem n’a consenti qu’à 10/12 mois (ce qui, dans la réalité, ne permet que de « mieux » préparer la cessation d’activité) et sans aucune proposition quant au maintien de l’activité de reconditionnement/réemploi.
Face à l’impasse, quatre des structures concernées (Rennes, Angers, Nantes et Niort), avec le soutien de la Fédération Envie, ont décidé de saisir la justice pour contester la décision, tout en appelant à une réforme plus large des règles de fonctionnement des filières REP (Responsabilité Élargie des Producteurs)[1], afin qu’elles soient réellement mises au service de l’intérêt général et des objectifs de transition.
Les quatre entreprises ont également proposé à Ecosystem de continuer la collecte des déchets au-delà de la fin des contrats (le 5 mai) et jusqu’au règlement du litige, permettant ainsi de préserver les emplois à court terme et d’éviter toute déstabilisation de la gestion des déchets dans les villes concernées ; Ecosystem a refusé le 5 mai dans l’après-midi, préférant que les marchés soient transmis immédiatement aux nouveaux prestataires.
Ce qui se passe dans l’Ouest est emblématique d’un système à bout de souffle. On écarte les acteurs qui ont fait leurs preuves, sans critères de réemploi, ni exigence d’impact social. Le réemploi mérite mieux qu’une logique de prix à la tonne. Il est urgent de remettre du sens et de la cohérence dans les filières REP.
Jean-Paul Raillard, Président de la Fédération Envie
Un signal d’alerte pour la transition écologique
Ce conflit révèle les limites d’un modèle dans lequel les éco-organismes peuvent, sans régulation suffisante, arbitrer seuls la manière dont est organisée la gestion des déchets financée par les citoyens. Alors que la loi AGEC fixe des objectifs ambitieux, notamment 2 % de réemploi pour les équipements électriques et électroniques, ces cibles sont inatteignables si les structures capables d’y répondre sont écartées.
La Fédération Envie appelle à :
– Un plan d’urgence pour maintenir les capacités de réemploi solidaire menacées sur les territoires, et préserver les emplois qui y sont associés ;
– L’intégration obligatoire de critères de réemploi, de reconditionnement et d’insertion dans l’ensemble des marchés liés aux filières REP ;
– Une réforme en profondeur de la gouvernance des éco-organismes, afin qu’ils agissent sous un véritable pilotage public, au service de l’intérêt général et des objectifs fixés par la loi AGEC (dont les 2 % de réemploi pour les équipements électriques et électroniques) ;
– La mobilisation de l’État, des collectivités locales et des parlementaires pour garantir la pérennité et le développement du réemploi solidaire, pilier d’une économie circulaire à la fois écologique, sociale et accessible.